ACTION FRANÇAISE

ACTION FRANÇAISE
ACTION FRANÇAISE

Au sens le plus étroit du terme, L’Action française est le titre d’un journal quotidien qui a paru en France de 1908 à 1944 et dont le principal animateur était Charles Maurras (1868-1952).

Mais l’Action française désigne aussi un mouvement qui est né plusieurs années avant 1908 et qui n’a pas disparu en 1944; l’histoire de ce mouvement, qui a exercé pendant près d’un demi-siècle une influence capitale sur le nationalisme français, ne se confond ni avec l’histoire d’un journal, ni avec l’exposé de la doctrine maurrassienne.

L’influence de l’Action française a été telle qu’elle a conduit ceux-là mêmes qui en étaient le plus éloignés à se définir par rapport à elle ou contre elle. On comprend mal tant l’histoire de la droite française que celle du catholicisme dans la première moitié du XXe siècle, et en tout cas on risque de ne rien comprendre à l’essor de la démocratie chrétienne, si on méconnaît l’influence exercée par l’Action française.

1. Doctrine de l’Action française

On n’évoquera pas ici les idées et la personnalité du fondateur de l’Action française avec sa barbiche et son feutre noir, sa surdité, son intransigeance, sa passion pour le Midi méditerranéen et pour la Grèce antique, son goût pour la poésie, son culte de la rigueur, de l’ordre et de la raison, sa manie de corriger sans cesse par d’indéchiffrables ratures les manuscrits de ses articles quotidiens, mais il est indispensable de présenter à grands traits la doctrine maurrassienne, car Maurras fut pour les fidèles de l’Action française un maître à penser, un chef d’école, le détenteur incontesté de la vérité politique.

La principale originalité de Maurras, c’est qu’il a réalisé, avec toutes les apparences de la rigueur la plus absolue («Il est, écrivait-il, des vérités que tout établit, que rien ne dément.»), l’amalgame de deux tendances jusqu’alors bien distinctes et même longtemps opposées: le traditionalisme contre-révolutionnaire et le nationalisme.

L’essentiel de la pensée de Maurras est en parfaite harmonie avec l’enseignement des «maîtres de la contre-révolution», Maistre, Bonald, Burke: chez lui comme chez eux, on retrouve la même critique implacable des principes de 1789, la même haine des abstractions et du «panjurisme» révolutionnaires, la même condamnation de la démocratie, le même attachement aux traditions, le même souci de fonder l’action politique sur les réalités naturelles, c’est-à-dire sur le legs de l’histoire et les leçons du passé. C’est de là que viennent la «politique naturelle» de Maurras, sa distinction entre le «pays légal» et le «pays réel», sa confiance dans les communautés naturelles que sont la famille, la région, le métier. Mais cet ennemi du XIXe siècle – «le stupide XIXe siècle» dont parlera son ami Léon Daudet – n’en est pas resté à l’époque de Joseph de Maistre. Son positivisme et la confiance qu’il place, dès ses premiers écrits politiques, dans l’«empirisme organisateur» comme principe et méthode de pensée et d’action portent la marque d’Auguste Comte, dont l’œuvre a exercé sur lui une profonde influence, ainsi que celle de Taine, qui voyait dans le jacobinisme «le chef-d’œuvre de la raison pure et de la déraison pratique».

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, cependant, le nationalisme français était resté lié de la façon la plus étroite aux souvenirs de l’époque révolutionnaire: «la patrie en danger», Valmy, les soldats de l’an II. C’est ce nationalisme de tradition révolutionnaire qui inspire Michelet (notamment dans Le Peuple ), les communards, les fondateurs de la Ligue des patriotes avant la crise boulangiste, plus tard Charles Péguy. Maurice Barrès lui-même, qui incorpore à l’héritage du nationalisme français le legs de la Révolution et de l’épopée impériale, est beaucoup plus proche de ce nationalisme républicain que du légitimisme contre-révolutionnaire d’un Maistre ou d’un Bonald. Maurras, quant à lui, s’oppose catégoriquement au nationalisme de tradition révolutionnaire; il condamne de la façon la plus formelle, dans Trois Idées politiques (1898), le nationalisme de Michelet dont il réprouve le messianisme romantique et les illusions révolutionnaires, il rejette le bonapartisme et la «démocratie plébiscitaire». Dès l’Enquête sur la monarchie (1900), il entend démontrer irréfutablement que les vrais nationalistes ne peuvent être que monarchistes: «Si vous avez résolu d’être patriote vous serez obligatoirement royaliste, la raison le veut.»

Ainsi, Maurras s’attache à rassembler dans un même camp, inspiré d’une même doctrine, ceux qui gardent la nostalgie des «quarante rois qui en mille ans firent la France» et ceux pour qui la défaite de 1871 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine constituent une inguérissable blessure. Cette synthèse du traditionalisme et du nationalisme est assurément la grande nouveauté du système maurrassien, mais on peut se demander si cette synthèse ne contenait pas, dès l’origine, le germe d’une contradiction fondamentale. En effet, par un singulier paradoxe, le «nationalisme intégral», tel qu’il est présenté par Maurras, exclut un siècle d’histoire de France et se voue à excommunier tous ceux qui ne se rallient pas à ses principes. Comme Maurras, par un autre paradoxe, proclame sa confiance dans la royauté au moment même où les monarchistes français ne sont plus qu’une poignée et où la restauration de la monarchie semble définitivement exclue, l’Action française, dès l’origine, est condamnée à rester une secte minoritaire que seuls des événements imprévisibles peuvent arracher à une éternelle contestation.

Il importe cependant de ne pas céder à la tentation de la lucidité a posteriori. Il est vrai que la doctrine maurrassienne fait apparaître aujourd’hui des éléments anachroniques et des contradictions internes, mais il est vrai aussi qu’elle pose avec une incomparable vigueur – une vigueur qui verse trop souvent dans l’outrance et dans l’injure – un problème dont on ne se débarrasse pas aisément.

Ce problème, c’est celui que pose l’existence même d’une démocratie. N’est-il pas contradictoire de parler d’un État démocratique? La démocratie ne conduit-elle pas inéluctablement au mépris et à la ruine de l’État? N’est-il pas prouvé par l’histoire qu’une république fondée sur la démocratie parlementaire est incapable d’avoir une politique étrangère cohérente ou du moins d’avoir les moyens de sa politique? C’est ce que dit Maurras en 1910 dans Kiel et Tanger , et ses fidèles purent avoir, en 1940, le sentiment que l’histoire leur donnait raison.

2. Histoire de l’Action française

Avant 1914

L’Action française est née de l’affaire Dreyfus dans une France divisée en deux camps irréconciliables, dans un pays profondément meurtri par l’annexion de l’Alsace-Lorraine et récemment humilié par les événements de Fachoda, dans une atmosphère d’angoisse, de crise et de guerre civile. Jusqu’à sa mort, Maurras restera obsédé par le souvenir de l’affaire Dreyfus dont les conséquences lui paraissent évidentes: «Au moral la haine de l’esprit militaire, au matériel un désarmement qui attire la guerre comme l’aimant le fer.»

En août 1899, un professeur de philosophie âgé de trente-quatre ans, Henri Vaugeois, et un jeune critique littéraire de vingt-six ans, Maurice Pujo, fondent une revue à couverture grise, qui paraît tous les quinze jours, la Revue de l’Action française . Ils ne sont royalistes ni l’un ni l’autre, à l’origine, mais ils jugent que la Ligue de la patrie française s’enlise dans l’académisme et ils veulent créer un mouvement plus dynamique. Charles Maurras, qui avait donné en 1898 au journal royaliste La Gazette de France un article retentissant dans lequel il se solidarisait avec le colonel Henry, au lendemain de son suicide, ne tarde pas à rejoindre le petit groupe qui s’est formé autour de la Revue de l’Action française et, à la fin de l’année 1900, la «revue grise» est devenue une revue royaliste.

Pendant plusieurs années, la Revue de l’Action française ne connaît qu’une audience limitée. C’est à partir de 1905 qu’elle prend son essor, sous l’influence de deux événements:

– l’alerte de Tanger (1905), qui, «par ce demi-clair matin» dont parlera Péguy, place brusquement la France en face de la menace allemande, et qui sera suivie par l’alerte d’Agadir en 1911;

– le conflit entre le gouvernement et les catholiques à propos de la séparation de l’Église et de l’État (1905) et de la crise provoquée par les inventaires. Un certain nombre d’officiers catholiques, comme Bernard de Vésins ou Robert de Boisfleury, refusent de suivre des ordres contraires à leur foi, donnent leur démission et rejoignent l’Action française. Dans diverses régions de France, notamment dans l’Ouest, se multiplient les adhésions à la Ligue d’action française qui s’est créée en janvier 1905 et qui apparaît comme le seul mouvement d’opposition catégorique au régime. Maurras, qui est personnellement agnostique, se trouve donc à la tête d’un mouvement qui groupe une forte proportion de catholiques.

À la Ligue d’action française s’ajoutent, en 1906, les «camelots du roi», qui se préoccupent avant tout d’agir dans la rue, et l’Institut d’action française, qui est une entreprise pédagogique avec une chaire Maurice Barrès sur la doctrine nationaliste, une chaire du Syllabus où l’on dénonce le modernisme et le catholicisme libéral, etc. En mars 1908, la Revue de l’Action française se transforme en un journal quotidien, L’Action française , qui paraîtra sans interruption pendant trente-six ans.

Entre 1905 et 1914, l’Action française organise manifestations sur manifestations:

– en 1905, pour célébrer le 75e anniversaire de la naissance de Fustel de Coulanges, mort en 1889, qui n’était ni royaliste ni catholique, mais dont l’Action française revendique le patronage, car c’est un historien patriote;

– en 1906, après la décision de la Cour de cassation annulant la condamnation de Dreyfus en vertu de l’article 445 contre lequel se déchaînent les camelots du roi;

– en 1908, contre le transfert des cendres de Zola au Panthéon;

– en 1908 également, contre Thalamas, l’«insulteur de Jeanne d’Arc», et contre le germaniste Charles Andler, accusé d’avoir conduit ses étudiants en Allemagne;

– en 1910, lorsque le président du Conseil, Aristide Briand, est giflé par un camelot du roi;

– en 1911, contre l’auteur de théâtre Henri Bernstein, accusé d’avoir déserté pendant son service militaire;

– en 1912, contre Jean-Jacques Rousseau, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

Époque de violence, époque d’outrance: jusqu’à sa disparition, L’Action française gardera le même style de polémique et d’agitation.

Favorisée par le renouveau du nationalisme qui se manifeste avant la Première Guerre mondiale, L’Action française rassemble autour d’elle une brillante pléiade d’intellectuels: Léon Daudet, orateur et polémiste, nature expansive et truculente que Barrès comparaît à Dionysos; Jacques Bainville, l’historien de L’Action française qui ne cessera de dénoncer l’éternel péril allemand, notamment dans son Histoire de deux peuples ; Georges Valois qui s’efforce d’établir une synthèse entre Maurras et Georges Sorel; Jacques Maritain qui vient à L’Action française par le thomisme et qui rompra avec Maurras après la condamnation pontificale de 1926; Georges Bernanos, qui fait partie avant la Première Guerre mondiale d’une petite bande dont les membres s’appellent les «hommes de guerre»; Henri Massis qui publie en 1912, avec Alfred de Tarde, l’enquête d’Agathon sur Les Jeunes Gens d’aujourd’hui , et qui deviendra un des plus fidèles disciples de Maurras; Pierre Lasserre, l’ennemi personnel du romantisme; le stendhalien Henri Martineau et le groupe de la Revue critique des idées et des livres qui naît en 1908; l’historien de l’art Louis Dimier; les religieux dom Besse et le père Clérissac... Le marquis de La Tour du Pin fait acte d’allégeance envers l’Action française ainsi que Jules Lemaître, et Jacques Rivière, dans sa correspondance avec Alain-Fournier, ne dissimule pas sa sympathie.

L’Action française exerce donc une incontestable attirance sur les intellectuels, mais il faut se garder de surestimer son audience et surtout son influence politique. Avant 1914, c’est un mouvement essentiellement parisien, avec un certain nombre de bastions provinciaux, notamment en Bretagne, en Vendée, dans le Gard, dans l’Hérault et dans la région de Bordeaux. Elle recrute surtout dans les familles de hobereaux – un cinquième environ de ses membres porte un titre de noblesse – dans l’armée, parmi les médecins et dans la petite bourgeoisie: commerçants, agents d’assurances, voyageurs de commerce. Elle ne parvient pas en revanche à pénétrer dans le monde ouvrier, et les efforts entrepris à cet égard par le cercle Proudhon, qui naît en 1911 et qui s’efforce de sceller l’alliance du nationalisme intégral et du syndicalisme révolutionnaire, se soldent par un échec total.

Jusqu’en 1908-1910, l’Action française reste un très petit mouvement qui fait beaucoup de bruit. Si elle connaît un incontestable succès avant 1914, c’est parce que le courant traditionaliste et contre-révolutionnaire, dont Maurras s’est fait le théoricien, vient converger – sans d’ailleurs se confondre – avec un nationalisme diffus qui se répand largement dans presque tous les secteurs de l’opinion et dans l’ensemble de la société française.

Après 1914

Pendant la Première Guerre mondiale, l’Action française pratique l’«union sacrée», et s’attache à dénoncer les traîtres, tous les traîtres: les laiteries Maggi, Malvy, Caillaux, Le Bonnet rouge . Elle bénéficie, après la victoire, de la vague nationaliste qui porte au Palais-Bourbon la Chambre «bleu horizon». Daudet est élu député ainsi qu’une trentaine de sympathisants de l’Action française. Maurras, qui entretient une correspondance cordiale avec Poincaré, soutient fermement sa politique en 1923, au moment de l’occupation de la Ruhr. Lors des élections de 1924, l’Action française croit pouvoir s’écarter du Bloc national et présenter ses propres candidats. Elle subit une déroute électorale, et Daudet perd son siège de député. C’est cependant en 1925-1926, à la faveur de la peur suscitée par le Cartel des gauches, que se situe l’apogée de l’Action française. Le journal compte à cette époque 48 000 abonnés, auxquels s’ajoutent 53 000 exemplaires vendus au numéro. C’est alors qu’intervient, à la fin de 1926, la condamnation de l’Action française par le Saint-Siège.

Les circonstances et motifs de cette condamnation – particulièrement dure puisqu’il était interdit aux catholiques de lire L’Action française sous peine d’être exclus des sacrements, et de ne pouvoir être ni mariés ni enterrés religieusement – ont fait l’objet de débats passionnés. La personnalité de Pie XI a été mise en cause, et l’Action française a voulu voir dans la condamnation une mesure inspirée par des motifs purement politiques.

En fait, on peut penser – sans que la vérité à cet égard soit clairement établie – que la condamnation de l’Action française a eu pour raison principale la volonté de Pie XI de contrebattre l’influence prépondérante détenue dans l’Église par l’épiscopat nommé au temps de Pie X, lors de la réaction antimoderniste, et son désir d’avoir les mains libres pour développer les mouvements d’action catholique du type de la J.O.C. et de la J.A.C. À cette raison fondamentale se sont sans doute ajoutées des considérations d’un autre ordre: le souci de lutter contre un nationalisme intransigeant et de favoriser la coopération internationale.

Quoi qu’il en soit, la condamnation romaine, à laquelle Maurras répond par un non possumus , est à l’origine d’une crise profonde, et de nombreux catholiques se détournent de l’Action française au moment même où celle-ci subit le contrecoup des succès de Poincaré. La popularité du «sauveur du franc», le triomphe du nationalisme conservateur enlèvent à l’Action française une partie de sa raison d’être et détournent d’elle une fraction de son public. Les effectifs fondent, les départs se multiplient. Le journal perd la moitié de ses lecteurs.

Mais le balancier se déplace. L’Action française, qui est en perte de vitesse lorsque la situation politique se stabilise, connaît un nouvel essor en période de crise. La crise d’antiparlementarisme qui suit les élections de 1932, et qui culmine au moment de l’affaire Stavisky, semble donner à l’Action française un nouveau départ. Les camelots du roi participent à toutes les manifestations de rue contre les «voleurs» et jouent un rôle important le 6 février 1934.

Voilà donc l’occasion du «coup de force» depuis longtemps annoncé par Maurras. Mais Maurras tergiverse. L’occasion est manquée, et les membres les plus ardents de l’Action française se détournent d’un mouvement qui leur paraît voué à l’impuissance (cf. le témoignage de Lucien Rebatet dans Les Décombres ).

Désormais, le déclin de l’Action française s’accentue, en même temps que les Croix-de-Feu progressent à un rythme accéléré. Ce déclin est masqué par quelques faits spectaculaires (l’élection de Maurras à l’Académie française en 1938, la levée de la condamnation pontificale par Pie XII en 1939), mais il n’en est pas moins réel, et le Prétendant, sentant que l’Action française risque de l’engager dans une entreprise sans issue, rompt publiquement avec elle en 1937.

Jusqu’à la guerre, l’Action française, tout en dénonçant avec clairvoyance le péril hitlérien, accable d’outrages les gouvernants de la République, notamment Léon Blum qui est l’objet d’attaques marquées par l’antisémitisme le plus élémentaire. L’Action française appelle la France à s’armer pour résister à l’Allemagne, mais, en même temps, elle dénonce avec une violence quasi obsessionnelle la complicité de la République avec la «conspiration judéo-maçonnique» qui pousse à la guerre pour faire en définitive le jeu des Soviets.

La position de Maurras, à cet égard, est bien définie par ce texte publié dans L’Action française , le 11 janvier 1937: «Des lecteurs de L’Action française , il n’en est pas un qui ignore ou puisse ignorer que l’ennemi numéro un de leur pays est l’Allemagne [...]. Après Hitler, ou, qui sait? avant lui, sur un tout autre plan, il y a un autre ennemi. C’est la République démocratique, le régime électif et parlementaire légalement superposé comme un masque grotesque et répugnant à l’être réel du pays français.»

En 1938, lors de la crise de Munich, comme en 1939, Maurras ne cesse de répéter: «Rien pour une guerre de doctrine, tout pour la défense de notre sol sacré», ou: «Pas de guerre pour les juifs.» En juin 1940, après l’effondrement des armées françaises, il déclare au préfet de la Vienne: «Que voulez-vous, monsieur le Préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie.» Il dira un peu plus tard: «Avec Pétain nous sortions du tunnel de 1789.» La «divine surprise» dont parle Maurras en février 1941, ce n’est pas la défaite de la France, mais la chance qu’a eue la France d’être arrachée au désastre par le maréchal Pétain.

Maurras, dont les sentiments à l’égard des «boches» n’ont pas varié, accueille donc chaleureusement la «Révolution nationale». Tout en prenant ses distances à l’égard des anciens membres de l’Action française qui versent dans la collaboration, notamment le groupe de Je suis partout , il continue à faire paraître L’Action française après l’occupation de la zone libre en 1942 et, jusqu’en août 1944, il poursuit, à grand renfort de «je l’avais bien dit», ses attaques contre les gaullistes, les démocrates-chrétiens, les juifs, les francs-maçons et leurs alliés. Condamné à la détention perpétuelle en 1945, il s’écrie: «C’est la revanche de Dreyfus.»

Sans doute, d’anciens membres de l’Action française, comme Guillain de Bénouville ou Jacques Renouvin, ont-ils rejoint les rangs de la Résistance ou de la France libre, mais l’Action française, dans son ensemble, ne s’est pas écartée de la ligne définie par Maurras. Les fidèles de Maurras garderont le sentiment qu’ils ont été victimes d’une conspiration. Ils dénonceront infatigablement les horreurs du «résistantialisme» et les crimes de l’épuration, et ils ne pardonneront au général de Gaulle ni la condamnation de Maurras ni la disparition de l’Action française.

3. Influence et destinée

Les raisons d’une influence

L’influence de L’Action française a certainement été beaucoup plus profonde que le nombre de ses lecteurs ne le laisse supposer. Avant la Première Guerre mondiale, au temps de l’enquête d’Agathon, les frontières ne sont pas nettes entre l’Action française et les autres formations de droite. Entre les deux guerres, à l’époque où l’Action française tend de plus en plus à se replier sur elle-même, les idées maurrassiennes sont véhiculées non seulement par l’organe du «nationalisme intégral», mais par diverses publications qui exercent une sorte d’effet multiplicateur: collections d’ouvrages à gros tirage comme «Les Grandes Études historiques» de Fayard, où paraissent les livres de Gaxotte et de Bainville (qui par ailleurs publie régulièrement des chroniques dans de très nombreux journaux, y compris Le Petit Parisien ); revues pour le grand public comme La Revue universelle fondée en 1920, dont le secrétaire général est Henri Massis; revues de jeunes comme Réaction fondée en 1930 par Jean de Fabrègues, Combat (1936) de Thierry Maulnier et Jean de Fabrègues, L’Insurgé (1937) de Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence; hebdomadaires comme Candide , fondé par Fayard en 1924, qui a, comme Gringoire , plusieurs centaines de milliers de lecteurs, ou comme Je suis partout , également fondé par Fayard, et qui, après avoir été dirigé par Gaxotte, évoluera, avec Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Alain Laubreaux, vers le fascisme et la collaboration.

Pourquoi cette influence? Les raisons ne sont pas évidentes, mais on peut, semble-t-il, en distinguer trois:

– Tout d’abord, la pensée de Maurras se présente comme un ensemble parfaitement cohérent. C’est sans doute, avec le marxisme, la seule doctrine politique, au sens plein du terme, qui, dans la France de l’entre-deux-guerres, s’offre aux esprits soucieux de rigueur et ennemis de l’opportunisme.

– C’est une doctrine d’opposition absolue, de protestation radicale, qui ne peut manquer d’exercer une certaine séduction sur ceux qui, sans toujours être monarchistes, éprouvent un profond dégoût pour le monde où ils sont condamnés à vivre.

– Enfin, il faut souligner l’incontestable qualité littéraire de L’Action française , la liberté de ton et de goût dont témoigne la rubrique littéraire, la confiance faite à de très jeunes gens comme Robert Brasillach, Thierry Maulnier ou Pierre Boutang, l’intérêt porté au cinéma, la densité de la page militaire. L’Action française est un journal intéressant, et Proust disait en 1920 qu’il lui était impossible d’en lire un autre.

L’Action française hors de France

L’influence de l’Action française n’a pas été limitée à la France et ses idées ont connu dans de nombreux pays une large audience: en Belgique, où le catholicisme a longtemps porté la trace de l’influence maurrassienne et où le rexisme de L. Degrelle à ses débuts développe des thèmes très proches de ceux de l’Action française; en Suisse, avec le mouvement Ordre et Tradition et la Ligue vaudoise de Marcel Regamey; en Italie, avec le groupe de l’Idea nazionale d’Enrico Corradini, Luigi Federzoni et Francesco Coppola; en Espagne, avec l’Acción española de Ramiro de Maeztu et José Calvo Sotelo; au Portugal, avec la Nação portuguesa d’Antonio Sardinha et Hipolito Raposo, etc.

L’Action française a applaudi à l’avènement de Mussolini comme à celui de Franco et n’a jamais marchandé les éloges à l’Italie mussolinienne et à l’Espagne franquiste, mais c’est sans doute au Portugal que l’influence de l’Action française a été la plus profonde et la plus durable. L’Estado novo, établi en 1926, présentait d’évidentes similitudes avec la doctrine de l’Action française, et Salazar reconnut à diverses reprises ce qu’il devait à Maurras, dont les disciples eux-mêmes proclamaient leur admiration pour Salazar.

Les causes d’un échec

Si L’Action française a exercé une influence durable, c’est cependant par un échec que se termine son histoire, car il semble difficile de qualifier d’un mot plus neutre l’attitude d’un journal se réclamant du «nationalisme intégral» qui continue à paraître sous l’occupation allemande et qui condamne avec la même violence – comme si ces condamnations ne pouvaient pas avoir de conséquences – tous ceux qui résistent à l’occupant.

À dire vrai, l’échec de l’Action française était déjà consommé bien avant 1939, dans la mesure où l’organe de Maurras n’était absolument pas parvenu à réaliser le grand rassemblement des nationalistes français qu’il s’était assigné pour objectif.

De cet échec on peut discerner plusieurs causes, mais il est bien évident qu’un non-maurrassien ne peut, à cet égard, raisonner comme un maurrassien.

On peut tout d’abord attribuer l’échec de l’Action française aux contradictions internes d’une doctrine moins nationaliste en définitive, et même moins royaliste qu’antirépublicaine et antidémocratique.

On peut aussi – car les contradictions de l’Action française nous apparaissent plus aisément qu’aux contemporains de Maurras – souligner le fait que la doctrine maurrassienne reste étroitement tributaire des circonstances qui l’ont vu naître. Formée à la fin du siècle dernier, dans un certain contexte historique, sociologique et international, cette doctrine est restée identique à elle-même de 1900 à 1950, comme si tout changement était nul et non avenu. «Paradoxalement, a écrit René Rémond, dans France-Forum , en 1964, la fidélité à l’histoire aboutit à la totale méconnaissance de ce que l’expérience historique ne cesse d’ajouter et de surimposer au passé.»

Enfin, il serait vain de dissimuler les conséquences de ce qu’il faut bien appeler le dogmatisme maurrassien. Toute l’histoire de l’Action française est jalonnée de crises, de départs, et d’anathèmes contre les dissidents: Georges Valois en 1926, les catholiques fidèles à Rome en 1927, les dirigeants de la fédération de Paris en 1930, Georges Bernanos en 1931, etc.

L’Action française s’écarte ainsi peu à peu, par la force des choses, des grandes ambitions qu’elle manifestait au début du siècle. Sa doctrine se fossilise en même temps que son public se limite à des cercles de plus en plus étroits. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’Action française tend à se confondre avec une réunion de conservateurs nostalgiques d’un passé révolu.

L’héritage de l’Action française

Charles Maurras sera gracié en mars 1952, et décédera en novembre de la même année. Cependant, l’esprit de l’Action française se manifestera encore dans diverses publications. Aspects de la France , reprenant les initiales et la typographie de L’Action française , se voudra le représentant du maurrassisme orthodoxe, tout comme la revue Écrits de Paris , qui entretiendra la fidélité à l’esprit de Vichy. La Nation française , née d’un schisme avec Aspects de la France , représentera une sorte de «modernisme maurrassien», sans complaisance pour le général de Gaulle; L’Esprit public se détachera de La Nation française , et manifestera un antigaullisme radical dans les derniers temps de la guerre d’Algérie.

Autour de La Cité catholique , des Nouvelles de chrétienté ou d’Itinéraires , des groupements intégristes s’efforceront de résister aux nouvelles orientations prônées par l’Église au moment du concile Vatican II. Certains anciens maurrassiens, ne reniant pas leur adhésion au fascisme, continueront d’écrire dans Rivarol ou Défense de l’Occident .

Deux organisations peuvent encore se prévaloir, au seuil des années quatre-vingt-dix, de l’héritage de l’Action française. Le mouvement Restauration nationale, qui a participé aux luttes pour l’Algérie française, s’est farouchement opposé aux gauchistes lors des événements de mai 1968, est intervenu en 1974-1975 pour que Mayotte reste française et a manifesté contre les cérémonies du bicentenaire de la Révolution en 1989, prône la restauration de la monarchie et un pouvoir central fort. Il publie, entre autres, Aspects de la France . La Nouvelle Action royaliste, issue en 1978 de la Nouvelle Action française fondée en 1971, a aussi pour but de favoriser le retour à un régime monarchique. Son leader, Bertrand Renouvin, se présentera néanmoins à l’élection présidentielle de 1974. Ce mouvement, qui soutiendra François Mitterrand lors des consultations de 1981 et 1988, publie, notamment, Le Royaliste .

Action française
(l'), mouvement polit. nationaliste et monarchiste, créé en 1899 et dominé par Ch. Maurras; quotidien du m. nom (1908-1944). Ce mouvement fut déclaré hérétique (1928) par l'église, qui leva la condamnation (1939), et fut interdit par les autorités françaises (1944).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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